La sociocratie, ou gouvernance dynamique

La sociocratie est une approche qui mobilise l’intelligence collective de tous les membres d’une organisation et assure une prise de décision sans objection garantissant une efficacité optimale. La sociocratie répond largement aux critères d’une bonne gouvernance tels que définis par l’ONU :

  • Elle permet la participation de tous, sans exclusion, en les traitant équitablement ;
  • Elle obtient une approbation unanime de son organisation et de ses décisions ;
  • Elle définit des règles de droit et les suit ;
  • Elle est responsable ;
  • Elle est transparente ;
  • Elle est souple, efficace et efficiente.

Qu’est-ce que la sociocratie ?

La sociocratie, fondée sur la cybernétique et la théorie des systèmes, est un modèle de management participatif venu de Hollande (Gérard Endenbourg et Kees Boeke). Elle permet le partage du pouvoir par tous les membres d’un collectif selon le principe de l’équivalence.

L’objectif est de rétablir des relations de pouvoir saines entre les individus d’une même organisation. Ce modèle crée les conditions pour une vie obéissant aux lois naturelles qui régissent les systèmes auto-organisés et pour faire valoir les talents des membres et faciliter l’épanouissement de leur potentiel .

Elle vise l’efficacité à travers la coopération active de tous les membres, ce qui a pour effet de renforcer le sentiment d’appartenance.

Le mode de gouvernance sociocratique favorise le pouvoir de l’intelligence collective qui surgit de la concertation de personnes réunies autour d’un but commun.

Un modèle basé sur quatre principes

Une des forces de la sociocratie c’est de ne pas proposer forcément un kit à prendre dans sa globalité, qui régenterait tous les détails de la vie de votre groupe. Chaque gouvernance est différente et il faut savoir définir son propre modèle, en faisant cheminer un collectif.

La sociocratie propose cependant 4 grands principes qui permettent l’adéquation de votre gouvernance avec des valeurs assez communes dans les oasis (équivalence des membres, partage du pouvoir décisionnel, responsabilité des membres…).

Premier principe : le fonctionnement en cercle

C’est à la fois un principe très simple mais fondamental de ces gouvernances, qu’on appelle d’ailleurs parfois « gouvernances en cercles ».

Le cercle est le symbole de l’équivalence car chacun des points d’un cercle est à équidistance du centre. De la même manière, un cercle sociocratique manifeste l’équivalence de ses membres qui sont à équidistance du centre, qui symbolise la raison d’être. Le cercle est alors la forme donnée aux réunions. Evitons les tables tout en longueur qui induisent déjà une autre architecture invisible !

Le cercle, c’est aussi le principe du tour de parole, qui est à la base du déroulement d’une réunion en sociocratie. En ouverture et en clôture, vous pouvez faire un cercle de parole pour que chacun manifeste son état intérieur (sa « météo ») et pose ses intentions ou son bilan de la réunion. Le tour de parole est aussi la base du processus de prise de décision donné plus bas.

Enfin le cercle est une équipe, avec un dedans et un dehors (garantir l’intimité et la confidentialité d’un cercle est sécurisant pour les membres). L’organisation va se structurer en cercles qui vont chacun avoir leur raison d’être et donc leur périmètre de plein pouvoir et de pleine responsabilité. Comme Laurent Vanditz l’explique dans la vidéo, on part généralement d’un seul cercle (la « plénière » qui peut devenir le « cercle général »). Puis au fur et à mesure que les cercles grandissent il est utile de créer d’autres cercles.

Par rapport à une organisation pyramidale classique, une des différences est qu’un cercle est pleinement souverain sur son périmètre. Il peut alors définir ses règles de fonctionnement propres. Cela ne veut cependant pas dire qu’il n’y a pas une forme d' »autorité » d’un cercle sur un autre en fonction de leurs rôles respectifs, mais cette autorité est bien circonstanciée et ne doit pas rentrer en conflit avec l’intimité du cercle.

Deuxième principe : la prise de décision par consentement

Cette méthode de prise de décision est sans doute l’axe central de la sociocratie et un apport particulièrement précieux pour un projet d’oasis.

Dans beaucoup d’organisations, la prise de décision est floue et chacun sort d’une réunion sans avoir clairement compris ce qui est vraiment décidé ou non. Il est donc indispensable de proposer un processus clair, appropriable par tous les membres d’une même équipe.

Les modèles de gouvernance participative comme la sociocratie distinguent généralement 2 types de décision :

– des décisions stratégiques ou liées à la gouvernance qui sont à prendre par consentement (ce que nous allons expliquer plus bas)

– des décisions opérationnelles qui sont à prendre en fonction des rôles.

Il serait en effet illusoire de vouloir appliquer le consentement à toutes les formes de décision.

Pour prendre un exemple : vous êtes un groupe d’amis qui voulez naviguer en bateau sur l’Atlantique pendant vos vacances.

–  savoir où vous allez (en Martinique ? à Haïti ? en Floride ?) est une « décision stratégique » et la sociocratie propose de le décider tous ensemble

– répartir certains rôles et définir la charte de vie sur le bateau est une « décision de gouvernance » et la sociocratie propose de le décider tous ensemble

– mettre plus ou moins de voile, choisir l’itinéraire précis, définir le menu du repas… sont des « décisions opérationnelles » qui appartiendront à chaque rôle (le skipper ou le cuisinier par exemple) et qui ne sont pas à prendre avec le processus du consentement.

Alors qu’est-ce vraiment que ce processus ? Le consentement consiste à prendre une décision basée sur la « non-objection » de tous les membres du cercle. On parle alors de « décision à zéro objection ».

L’objectif est en effet avant tout de continuer à « avancer ensemble ». Contrairement à un vote à la majorité qui peut laisser à l’écart des membres d’une équipe, le consentement vise à maintenir la cohésion du groupe. Une décision adoptée au consentement sera beaucoup plus facile à mettre en place car tout le monde aura été d’accord pour jouer le jeu de sa mise en application. Personne ne sera bloquée.

Une objection peut être de 2 types : soit parce qu’on juge que cette décision ferait prendre un risque à l’organisation, soit parce que cela nous bloquerait dans notre participation au cercle ou que cela nous empêcherait de bien remplir notre rôle.

Attention qu’une objection ne se base par sur une préférence (on peut préférer autre chose mais ne pas avoir d’objection à ce qui est proposée). On décide donc avec la non-objection de tous plutôt qu’avec la préférence de la majorité.

Ce processus se déroule généralement en plusieurs étapes :

  • Tout part d’une proposition qui est portée par l’un des membres du cercle ou par plusieurs (sur la base par exemple d’un groupe de travail qui aura été créé).
  • L’animateur de la réunion donne d’abord la parole au proposeur pour énoncer sa proposition et l’argumenter (idéalement une proposition aura été envoyée en amont d’une réunion).
  • Un premier tour de parole, dit « tour de clarification », permet à chacun de poser les questions qu’il a, de manière à s’assurer d’avoir bien compris. Il ne s’agit pas là de s’exprimer mais bien simplement d’avoir compris ou de demander des clarifications sur des points non énoncés.
  • Un second tour de parole, dit « tour d’expression », permet à chacun de donner son point de vue, notamment en disant si la proposition lui convient ou pas, à quels besoins elle répond / ne répond pas, ce qu’il manque, comment la bonifier…
  • Après avoir entendu l’expression de tous, le proposeur peut choisir librement de modifier sa proposition en ajoutant des compléments.
  • La proposition bonifiée ou non est soumis à un tour d’objection. Après avoir exprimé ces préférences au tour d’expression, chacun doit alors voir si quelque chose est bloquant pour lui.
  • S’il n’y a pas d’objection, la proposition est adoptée. S’il y a une ou plusieurs objections, on essaie de les traiter (trop d’objections veut dire que la proposition n’est pas « mûre »). Pour traiter une objection, la créativité du cercle est souvent utile pour lever les blocages de la personne, en modifiant la proposition.

Contrairement à ce qui est souvent imaginé, prendre une décision à zéro objection est loin d’être impossible du moment que le cercle contient les personnes concernées (un cercle sociocratique ne dépasse dans l’idéal pas 20 personnes, il faut alors réfléchir l’organisation en plusieurs cercles si vous êtes plus nombreux). De nombreuses organisation, dont Colibris, utilisent ce processus au quotidien et cela marche !

Troisième principe : l’élection sans candidat

L’élection classique que nous connaissons (avec candidats et vote d’une majorité pour celui qui sera élu) pose de nombreux problèmes. Ce ne sont en effet pas toujours les personnes candidates qui ont les qualités attendues pour bien remplir une mission. Il s’agit en effet alors de « demander le pouvoir », là où il serait préférable d’être dans une posture de service (et donc que le cercle demande à quelqu’un de jouer le rôle).

Cela modifie complètement la posture de celui qui obtient un rôle, car ce n’est plus lui qui a demandé aux personnes du cercle de lui faire confiance, mais c’est le cercle qui lui a demandé de jouer ce rôle, et à ce titre va sans doute davantage le soutenir.

Le processus utilisé est le suivant :

  • Une fiche de rôle présente généralement les redevabilités du poste et les qualités attendues. Le cercle peut prendre le temps de noter les qualités complémentaires dans le cas présent
  • Chacun va voter sur un bout de papier en notant le nom de son choix (« Pierre vote pour Jacques »).
  • L’animateur collecte les papiers et donne la parole à chacun pour expliquer son vote (« moi Pierre, j’ai voté pour Jacques car il remplit telle ou telle qualité… »).
  • Après avoir entendu le vote de tous, chacun peut faire le choix de modifier son vote. Cela ne remet pas forcément en cause ce qu’on pensait de notre premier choix !
  • Souvent une majorité se dessine alors pour un ou plusieurs candidats.
  • Il faut alors faire une proposition : soit par l’écoute du centre avec quelqu’un qui propose un nom au vue de ce qui est partagé, soit directement en prenant celui ou celle qui a le plus de voix.
  • On fonctionne alors avec une prise de décision par consentement (« avons-nous un objection à ce que Jacques remplisse ce rôle ? »).
  • Attention que le traitement des objections dans ce cas est particulier et complexe. Il faut souvent savoir passer au nom suivant s’il y a plus d’une ou deux objections…

Quatrième principe : le double-lien

Dans une organisation classique un seul rôle fait généralement le lien entre 2 cercles liés hiérarchiquement (généralement le chef de l’équipe est membre du niveau supérieur, par exemple un comité de direction).

Cela pose des problèmes car c’est la même personne qui doit représenter son cercle (appelé A ci-dessous) dans le cercle supérieur (appelé B ci-dessous) et faire redescendre les décisions du cercle supérieur B dans son cercle A. Il a donc à la fois un rôle ascendant et descendant et il sera le seul à pouvoir évaluer et transmettre « l’état de santé » d’un cercle auprès de l’autre.

La sociocratie appelle ce responsable le « premier lien ». C’est lui qui est nommé par le cercle B pour « créer » le cercle A et il coordonne ce cercle de façon opérationnelle (les décisions stratégiques et de gouvernance restent néanmoins prises par consentement dans le cercle A avec tous les membres).

La sociocratie adjoint à ce « premier lien » un « second lien » qui va être élu (par la méthode de l’élection sans candidat) par son cercle A comme membre du cercle supérieur B.

Ce n’est cependant pas un « représentant syndical ». C’est quelqu’un en qui on a confiance qu’il pourra, en son âme et conscience, représenter correctement le cercle en parlant en son nom propre dans le cercle B dont il veillera aussi à garantir l’intimité.

Un second lien est généralement élu pour ces qualités de neutralité, d’écoute, de vigilance au cercle d’origine, de savoir affirmer son point de vue dans le cercle A…

Vous trouverez en bas de cette fiche un petit schéma qui explique ce « double-lien » entre cercles.

Bon courage à tous dans vos recherches sur la gouvernance et n’hésitez pas à vous inspirer de ce modèle déjà bien utilisé !

Remarque : cette courte fiche écrite par Mathieu Labonne ne constitue pas un document officiel de présentation de la sociocratie et ne remplace surtout pas le fait de se former à cet outil s’il vous intéresse !

(pour en savoir plus :  http://sociocratie.net)

1 réflexion sur “La sociocratie, ou gouvernance dynamique”

  1. Ping : Compte rendu de la réunion du 26 mars 2016 – collectif citoyen pour l'environnement à bousbecque

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *